• Ecologie et santé

    L'écologie est-elle réductible à une question de santé ?

    INTRODUCTION : LES PROBLEMATIQUES ABORDEES PAR L’ECOLOGIE

    La critique écologiste traite principalement des problèmes de toxicité, de pollution, d’épuisement des ressources et de gaspillage, d’usage de produits chimiques, de modifications génétiques et du réchauffement climatique, de l’emprunte écologique laissée par les activités humaines (il s’agit en réalité d’une emprunte anthropologique plus qu’écologique). Parfois cette critique de la société industrielle et technologique s’accompagne d’une critique de l’inauthenticité du monde sociale contemporain et d’une fétichisation maladroite du « local » au détriment du global. Nous avons déjà consacré quelques articles à la déconstruction de telles postures cosmologiques, dont le contenu et la portée profitent davantage à l’extrême droite conservatrice qu’aux mouvements progressistes [1].

    Généralement, nous préférons parler de Décroissance car ce terme, plutôt que de laisser penser à un verdissement du mode de production et de consommation accompagné d’une gestion politique bienveillante, s’attaque à la logique économique basée sur l’expansion et l’intensification illimitée de la production, et ce à des fins marchandes et d’accumulation financière ; et indique un chemin, une voie à suivre pour la société future, dont il s’agit d’en être les acteurs plutôt que de la subir de plein fouet. D’autre part, ce terme semble encore appartenir à la sphère de la critique et échapper à la sphère du pouvoir, du fait qu’aucune formation politique à prétention gouvernementale ne semble actuellement en mesure de s’en emparer. Il existe certes un Parti Pour La Décroissance, mais ce parti s’oriente plus vers ce qu’il nomme les effets de masse critique, ce qui s’apparente plus à une stratégie d’influence et de changement social par le bas qu’a une démarche d’aspiration gouvernementale.

    Mais ce texte ne parlera pas ici de décroissance. Dans le propos qui suit, nous développeront une autre approche, dont le but sera d’analyse la possibilité de décliner les problématiques de l’écologie sur le plan de la santé et d’en saisir les apports potentiels sur le plan théorique et pratique. Nous commencerons d’abord par définir ce qu’est pour nous une éco-logie, avant de comparer ses contenus avec ceux de l’approche en termes de santé. 

    I LES LIMITES DU PARADIGME ECO-LOGISTE

    1 Etymologie de l’éco-logie

    Etymologiquement, écologie nous vient des termes grecques Oïkos, qui signifie « maison », ou « foyer », et logos, qui signifie « discours sur ». L’écologie signifie ainsi « discours sur la maison », ou par extension, « discours sur l’environnement ». Ce paradigme pose d’une certaine manière le fait qu’il y a d’un coté les Hommes et de l’autre la chose à gérer. Il est de nature anthropocentriste. A travers cette représentation du monde héritée de la métaphysique occidentale, les Hommes sont ainsi considérés comme séparés des autres entités vivantes, dont ils sont alors les maîtres, et dont le but est la domination de la Nature, le contrôle de l’Environnement. Les maîtres peuvent être des tyrans destructeurs, tels les prédateurs capitalistes et autres industrialistes immodérés, ou bien adopter une attitude bienveillante, dans la lignée de ce que fut le courant patronal paternaliste. A mesure que se développe la rationalité économique, la bureaucratie et le positivisme, les Hommes, en tout cas les travailleurs, sont de plus en plus considérés par les classes dominantes comme des éléments de la maison, des ressources ou des choses à gérer [2]. Le vivant et les Hommes ne sont plus que des choses à manipuler entre les mains des classes dominantes. Ils subissent tant la prédation et le mépris que la bienveillance de ces maîtres que sont les dirigeants de la politique et de l’économie. L’éco-logie constitue en cela la face bienveillante du contrôle social et politique. Ce n’est donc pas pour rien, et pas seulement pour des raisons de responsabilité, de prise de conscience des limites et des dégâts causés par la société industrielle, que la quasi-totalité des partis politiques de gauche comme de droite se sont appropriés le terme d’écologie. C’est aussi parce que le paradigme de l’écologie, ainsi que la manière dont il a pu être formulé en termes gestionnaires, qu’il constitue un paradigme gouvernemental, qu’il s’inscrit très bien, en lui-même, dans une logique du pouvoir, de maitrise, de domination. La critique de l’éco-logie implique ainsi une critique de la réification du vivant et de la domination de l’Homme sur le vivant réifié. 

    2 Les faux altruismes désintéressés de l’écologie

    L’écologisme s’accompagne souvent d’énoncés comme « préserver ou sauver la Nature, l’Environnement, la Planète ». En ce qui concerne la Nature, il y a deux manières d’interpréter le concept. Soit il s’agit de désigner ce qui n’est pas Humain, c'est-à-dire animal, végétal, minéral, etc., et ce d’une manière qui reproduit une logique de supériorité, et donc ouvre la voie d’une forme de domination, de l’Homme sur le reste du monde. Soit il s’agit de désigner ce qui se rapporte à une forme d’émergence spontanée, l’Homme étant considéré comme être au-delà de la spontanéité, du fait de sa capacité de réflexion, d’analyse, d’anticipation. A ce niveau, il y a une certaine hypocrisie dissimulée dans l’adoration du spontané, dans la mesure où ce n’est pas tant la Nature vierge, digne du Mythe du jardin d’Eden ou des diverses Robinsonnades, que les écologistes entendent défendre, mais plutôt le modèle de la Campagne, c'est-à-dire de la Nature domestiquée, soumise à l’Homme, et aménagée selon sa volonté. De même, la préoccupation réelle de ceux qui se disent « écologistes » est essentiellement anthropocentrique. Le Milieu, le Foyer, La Nature, l’Environnement, la Planète, la Terre, ou comme on voudra l’appeler, n’a pas besoin d’une intervention extérieure pour se réguler. C’est bien plutôt l’Homme qui est une espèce bio-interactive, dépendante des relations avec un certain nombre d’entités vivantes pour continuer à exister. Il ne s’agit donc pas d’un souci désintéressé de la vie de l’autre, mais d’un souci intéressés pour sa propre survie.

    II POURQUOI LA SANTE ?

    1 Problématiques posées par l’écologie et interprétation en termes de Santé

    La plupart des problématiques posées par l’écologie se rapporte à un moment ou à un autre, de manière directe ou indirecte, immédiate ou médiatisée, à un problème impactant sur le corps, la santé, la qualité de vie des Hommes. La toxicité, l’usage de produits chimiques et la pollution, qui sont des problèmes que l’on peut retrouver dans l’agriculture, au niveau de la contamination des sols et de l’eau, mais aussi de l’alimentation ; dans les usines, à travers l’exposition des salariés, les émanations dans l’air, les déchets produits.    

    Le Nucléaire, qui constitue une des pierres angulaires de la critique écologiste, est également et directement lié à des problématiques sanitaires. L’extraction de l’uranium implique des risques de contamination pour les travailleurs, sans parler des conditions de vie de ces personnes, qui constituent la base sur laquelle les capitalistes peuvent accumuler des profits. La santé des travailleurs dans les centrales constitue également une des critiques majeures développées par les anti-nucléaires du gauche. La radioactivité des déchets produits, ainsi que leur enfouissement, pouvant contaminer les sols et l’eau, sont des problématiques qui se rattachent directement à la question de la santé. Enfin, le manque de stabilité des réacteurs et les risques d’explosion peuvent entrainer des conséquences dramatiques, notamment le développement de maladies graves, de cancers, de malformation, générer de la stérilité, tout en impactant également les autres espèces animales et végétales, dont les Hommes peuvent se nourrir. On pourrait faire des raisonnements plus ou moins analogues en ce qui concerne l’extraction du gaz de schiste, du pétrole, du charbon, etc.

    Les arguments de la lutte contre les OGM, autre point fort de la critique écologiste, partent pour la plupart d’une inquiétude en ce qui concerne la santé, du fait de l’imprévisibilité des mutations génétiques et de leurs effets sur l’organisme Humain, mais aussi animal. 

    L’épuisement des ressources naturelles pourrait entrainer des situations de pénurie en termes de production, notamment alimentaire, mais aussi en ce qui concerne l’eau potable. Ici nous ne sommes plus face à l’hypothèse de la maladie, mais aussi, ce qui est d’autant plus grave, de la mort. De plus, la diminution des ressources naturelles, que ce soit des ressources énergétiques et des matières premières, implique la  mise en doute de la possibilité de maintenir un système de soin efficace pour tous. En effet, comment produire des médicaments si les ressources nécessaires à les produire viennent à diminuer, et comment faire pour ce qui est des blessures et des maladies graves si l’on ne dispose pas d’un système de transport rapide et de centrales de soins suffisamment équipées.

    La société industrielle implique un système d’aménagement du travail et de l’espace fortement émetteur de particules toxiques. Les déplacements réguliers entre domicile et lieu de travail,  notamment dans le cadre de l’étalement de l’habitat, particulièrement frappant en zones rurales et périurbaine ou l’automobile tient une place prépondérante, sont fortement émetteurs de gaz à effets de serre, et participent à la pollution de l’air.

    L’Obsolescence programmée, stratégie pour assurer le cycle de renouvellement du taux de profit, implique un renouvellement plus fréquent de l’émission de particules toxiques et de gaz à effets de serre. Le « travail immatériel » n’est pas non plus épargné par cette critique, du fait qu’il s’accompagne généralement de supports matériels, également soumis à cette logique d’obsolescence.

    Le réchauffement climatique, enfin, implique des variations de températures qui ne seront pas sans jouer sur la question de la santé. Il en va de même en ce qui concerne, comme conséquence de ce phénomène, la diminution des terres cultivables, qui provoquera des pénuries, de la famine, des épidémies, la raréfaction de l’eau potable, ainsi que les problèmes économiques prévisibles dans le cadre d’une persistance de l’économie capitaliste en ce qui concerne les inégalités d’accès aux soins, qui prendront des dimensions largement supérieures à ce qu’elles sont aujourd’hui.

    Derrière les thématiques abordées à travers la problématique de l’écologie se dissimulent bien en réalité des enjeux se rapportant, soit directement, soit en dernière instance, à la question de la santé, et au-delà, de la survie et du bien vivre de tous.

    2 Les origines de la critique de la santé chez Marx et Engels

    L’écologie n’existant pas à l’époque de Marx, il est difficile de le qualifier d’écologiste sans entrer dans une forme d’anachronisme. Cependant, Marx avait répondu, à sa manière, qui est tout aussi originale, à un certain nombre de problématiques reprises par la suite dans le paradigme écologiste. A travers les concepts de « métabolisme », de « corps organique » et « corps inorganique », il a posé, certes d’une manière très anthropocentrique [3], mais malgré tout assez lucide et objective quant aux motivations subjectives, le problème de la société industrielle, de ses dégâts et de ses limites, à travers la problématique de la santé. De même, Friedrich Engels avait écrit un ouvrage, intitulé, La situation de la classe laborieuse en Angleterre, ou il décrit et dénonce la manière donc le capitalisme et la grande industrie qui l’accompagne dégrade de manière atroce les conditions de vie des ouvriers. C’est en outre sur cette base marxiste, axée autour de la santé, que le mouvement autonome italien a encouragé les ouvriers italiens à lutter contre l’exposition aux produits toxiques dans les usines.  

    3 La Santé des Travailleurs : une approche militante qui s’adresse à l’individu plutôt que d’extérioriser le problème

    Comme nous l’avons évoqué précédemment, le souci de l’extériorité constitue pour la plupart du temps une approche fallacieuse, sous laquelle se dissimule en réalité le souci de soi. Si nous ne pouvons que déplorer cet anthropocentrisme largement répandu, nous ne pouvons défendre une posture qui, en plus de réifier, d’externaliser et de dominer, s’appuie sur un faux altruisme pour masquer un égocentrisme véritable. Or nous ne sommes pas encore en mesure d’accéder au stade d’une conscience profondément bio-interactionniste [4], à travers laquelle l’Homme ne maitriserait plus le vivant, mais parviendrait plutôt à maitriser et équilibrer ses relations avec le reste de la biodiversité [5]. De plus, « l’écologie » –  notamment dans sa forme pure, consistant à sauver la Nature avant tout, en dépit des Hommes, considérés parfois comme coupables – est une conception qui parle globalement plus aux classes sociales aisées qu’aux classes populaires. En revanche, la Santé des Travailleurs serait susceptible d’être la conception que s’approprieront les classes sociales les moins aisées pour livrer des luttes. Elle pourrait aussi constituer l’angle d’approche qui, à travers les luttes, ainsi que l’exploration des différents points sur lesquelles les modes de productions industriels et les dégâts qu’ils causent impactent sur la santé et la qualité de la vie, constituera la passerelle vers une éthique et un socialisme bio-interactionniste.

    CONCLUSION

    Une grande part des contenus de la critique écologiste peuvent être transposé sur le plan de la santé. De plus, il s’agit dans la pratique militante, d’une approche qui s’adresse davantage à l’individu et a son vécu qu’a une préoccupation qui lui serait extérieure et lointaine. Nous ne prétendons cependant pas que tous les aspects de la critique écologiste puissent être formulés en termes sanitaires, que ce soit de manière directe ou indirecte. En effet, certains aspects s’apparentent plus à des questions de survie – comme c’est le cas par exemple pour la protection des abeilles –, ou de qualité de la vie. Par exemple, la pérennité d’un mode de production capable de satisfaire les besoins de toutes et tous ne peut être abordé exclusivement à partir de l’angle de la santé. Cette inquiétude s’apparente également à une préoccupation pour la qualité de la vie, le « buen vivir », que pour le milieu ou l’environnement. Elle s’inscrit donc, en ce qui concerne cet aspect dans le contenu du socialisme.

    [1] Articles ECR : « critique de la société de consommation ou critique de la société marchande ? », « faut-il sortir du productivisme ? », « Quelle critique de la société industrielle ».

    [2] Nous nous référons, ici encore, à la pensée incontournables de Lukács sur la réification, développée dans Histoire et Conscience de Classe

    [3] Comme le souligne Alain Lipiez, dans un article intitulé « L’écologie Politique, avenir d’un Marxisme », « La Nature n’est pas le corps inorganique de l’Homme, mais tout autant le corps inorganique de l’abeille ou de l’aigle royal». Alain Libiez,

    [4] Nous employons bio-interactionnisme par opposition au Bio-centrisme. Le Bio-centrisme constitue en effet une approche liée à l’écologie profonde qui soit nie la diversité des formes de vies pour défendre le principe de vie – il s’agit alors là d’un zoo-centrisme, au sens ou le concept de vie est ici plus proche de Zoé, la vie non qualifiée, que de Bios, la vie qualifiée –, soit il défend les différentes formes de vies mais avec certaines dérives anthropomorphistes – par exemple lorsque l’on revendique des « droits pour les animaux ». La notion de centralité est également problématique, parce qu’elle définit une périphérie qui se retrouve implicitement subordonnée à ce qui constitue le centre. Poser la vie non qualifiée comme nouvelle centralité s’avèrerait très dangereux, parce qu’ainsi, cette approche ouvrirait la porte a des pratiques répressives et sacrificielles au nom de la vie. La vie qualifiée est tout aussi problématique en ce qui concerne le Bio-centrisme, car la vie qualifiée n’a en elle-même pas de centre, mais est composée de multiplicités de formes de vies en interaction, dont il est difficile d’identifier un centre. Au contraire, le bio-interactionnisme est une approche qui considère les différentes formes de vies et leurs interactions réciproques, et peut permettre à l’Homme de re-trouver sont point d’équilibre dans la diversité du vivant (biodiversité).

    [5] Nous reformulons ici la problématique de Michael Lowy dans Ecosocialisme, qui explique que l’enjeu de l’écosocialisme consiste à remplacer la Maitrise de la Nature par la maitrise des relations que l’Homme entretient la Nature.

    ANNEXE : Quelques Limites de l’approche Sanitaire

    La critique de la société industrielle et de ses conséquences en termes de santé doit malgré tout prendre en compte certaines limites, notamment analysées par Lucien Sfez dans La Santé parfaite, critique d’une nouvelle Utopie. En effet, la société capitaliste industrielle comporte le paradoxe étonnant qu’elle dégrade à la fois la santé de ses membres et qu’elle produit une injonction à être en bonne santé. Ce paradoxe s’explique par le besoin, pour le renouvellement du taux de profit, d’une production et d’une productivité toujours accrue, qui implique à la fois une dégradation des conditions de vie, mais aussi d’un sujet toujours opérationnel, toujours plus performant. A mesure que s’intensifie la dégradation sanitaire liée au développement de l’industrie capitaliste, se développe un processus de compensation en termes de soins. Pour rejoindre l’analyse d’Ellul, développée dans  Le Système Technicien, il s’agit d’un processus d’auto-accroissement plutôt qu’une de rétro-action. Au lieu d’agir sur les causes, à la source des problèmes, on trouve des solutions de compensation à la marge. Ces solutions de compensation, plutôt que de neutraliser le problème, ne font que le déplacer, que créer de nouveaux problèmes. Nos sociétés, en ce qui concerne la santé, ont tendance à toujours développer plus de nouveaux médicaments, de nouveaux vaccins, etc. Nous pouvons identifier trois problèmes à ce niveau. Tout d’abord, la logique de rentabilité et de recherche du profit peut impliquer une défaillance quant aux processus de sécurisation des produits et des démarches de soins. Ensuite, en utilisant régulièrement des médicaments pour rendre les gens plus productifs, plutôt que de leur permettre de se remettre tranquillement chez eux, les systèmes immunitaires continuent de s’affaiblir, plutôt que de se renforcer. Enfin, Le processus de production capitaliste industriel tend vers l’épuisement des ressources. S’il n’est pas enrayé, s’il n’y a pas de rétroaction, nous nous retrouverons avec une Humanité très vulnérable et privée de la possibilité de maintenir son système de soins. L’approche en termes de santé implique le fait d’aller à l’encontre de cette logique, et donc de remettre en question le capitalisme, la croissance, autant d’un point de vue intensif qu’extensif, la place du travail dans la société, afin de renforcer les systèmes immunitaires et de pérenniser parallèlement les systèmes de soins.

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