• L'Economie de Marx pour les Anarchistes - Chapitre 5

    L'époque du déclin capitaliste

    Chacun des systèmes sociaux précédents avait atteint sa fin et il en sera de même pour le capitalisme. Comme cité précédemment, Marx a jugé que le capitalisme à un point où « il commence à se sentir comme un obstacle au développement ...».

    Dans sa Préface à la Critique de l'économie politique, Marx a écrit :

    « A un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou – ce qui n’est que l'expression juridique de la même chose – avec les rapports de propriété au sein desquels ils ont été à l'œuvre jusqu'ici. De formes de développement des forces productives, ces relations deviennent des entraves. Commence alors une époque de révolution sociale » (cité dans Daum, 1990).

    La puissante technologie du capital est devenue si largement productive qu'elle ne convient pas dans les limites d'un système fondé sur la propriété privée, la lutte des classes, la concurrence et les frontières nationales – qui a été développée pour servir une économie de pénurie. La production de la valeur retient la production de biens utiles pour tous. Le capitalisme devient moins compétitif ; il fait revivre les anciennes méthodes de non-marché, étatiste, de soutien ; il renvoie à l'accumulation primitive. Ce phénomène à été nommé « l'époque de la décadence capitaliste », « baisse », ou « parasitisme » ; l'époque du « capitalisme monopolistique », de « l'impérialisme », du « capitalisme monopolistique d'Etat », du « capitalisme financier », ou du « capitalisme tardif ».

    De toutes les améliorations de la productivité, y compris l'automatisation, l'informatique, et de la nanotechnologie, la plus importante que le capitalisme a créé est la classe ouvrière internationale. Cette classe existe à travers des concentrations dans les villes et dans les industries, travaille collectivement et en collaboration (à la différence des paysans qui travaillent généralement leurs propres fermes et veulent généralement être des hommes d'affaires prospères). Cette classe, avec ses mains sur la nouvelle technologie hautement productive, pourrait conduire tous les opprimés pour créer une nouvelle société, sans classe, ni États, ni guerres, ni destruction écologique. Depuis plus d'un siècle et demi, cette classe ouvrière moderne a maintes fois lutté, sous la bannière de diverses sortes de « socialismes », pour renverser le capitalisme.

    Marx et Engels n’ont pas vécu suffisamment longtemps pour de voir l'époque actuelle de déclin du capitalisme (à partir d'environ 1900 ou plus). Mais, les analyses ont été faites par divers théoriciens marxistes, y compris Hilferding, Lénine, Boukharine, Trotsky, et Rosa Luxembourg. Tous apportaient des informations importantes, bien que seule Rosa Luxemburg fut influente dans le développement des tendances marxistes libertaires-démocratiques. Cependant, je vais rester aussi près que possible des théories actuelles de Marx et Engels.

    A partir de 1914, on pouvait facilement penser que Marx avait raison de décrire une époque de déclin du capitalisme. Il y eut la Première Guerre mondiale, historiquement sans précédent. Cette période fut suivie par la prospérité superficielle des années 20, puis par la Grande Dépression, qui s’étendit à l’échelle mondiale, sur une dizaine d’années. Des révolutions et des quasi-révolutions éclataient dans toute l'Europe, la révolution Russe étant la plus proche du succès. D’autres révolutions ont échoué en Allemagne, en Italie, et en Europe de l'Est. De grandes luttes ouvrières se produisaient en Europe et aux États-Unis, ainsi que des rébellions nationales en Chine et ailleurs. Finalement, toutes les luttes révolutionnaires ont été défaites et remplacées par des régimes totalitaires. En Union soviétique, le stalinisme anéantit les derniers vestiges de la révolution Russe (les anarchistes pensent que Lénine et Trotsky ont été les premiers à trahir la révolution, en établissant un état policier et un parti unique). Le fascisme est arrivé au pouvoir en Italie, en Allemagne, en Espagne et dans d'autres pays. Même l'esclavage a été relancé, comme mesure de l'État, sous le nazisme et le stalinisme. Enfin, la période a pris fin avec la dévastatrice Seconde Guerre mondiale. (Je discuterai du boom d'après-guerre ci-dessous).

    Le « Capitalisme monopolistique »

    Quelle était la nature sous-jacente de cette époque de déclin du capitalisme ? Les économistes ont pris pour acquis la réalité continue d'un capitalisme concurrentiel, où de nombreuses entreprises concourraient dans un marché et fixaient les prix et les taux de profit que le marché imposait. Marx était l'un des premiers à souligner la tendance à l’accroissement des entreprises capitalistes. Il prévoyait la croissance de sociétés gigantesques en raison « de la concentration et de la centralisation ». La « concentration » est l'ampleur croissante de l'accumulation du capital, dans des entreprises de plus en plus grandes. La « Centralisation » est la fusion des capitaux distincts, soit par les unions à l'amiable, soit par des prises de contrôle hostiles de l'un sur l'autre.

    « Cette division du capital social total dans de nombreux capitaux individuels ou la répulsion de l’une et l’autre de ses fractions, est contrecarrée par leur attraction ... [C’] est la concentration des capitaux déjà formés ... l’expropriation des capitalistes par d’autres capitalistes, la transformation de nombreux petits capitaux dans quelques grandes capitaux ... C’est ... distincts de l'accumulation et de la concentration ... la concurrence et le crédit [sont] les deux leviers les plus puissants de la centralisation » (Le Capital I, 1906 ; pp. 686-687).

    Ce qui s’est passé est bien connu. Juste à titre d'exemple, Frances Moore Lappe écrit, « Seulement quatre entreprises contrôlent au moins trois-quarts du commerce international des céréales ; et aux États-Unis, d'ici 2000, seulement dix sociétés-conseils avec un total de seulement 138 personnes – en étaient venues à représenter la moitié de la nourriture américaine et des ventes de boissons » (2011, p 11.).

    La tendance était à la fusion de la totalité du capital d'un pays en un seul. Elle jettera les bases d'un capitalisme d'Etat. Dans le Capital I, Marx écrit: « Cette limite ne serait être atteinte dans une société donnée jusqu'à ce que la totalité du capital social soit uni, soit dans les mains d'un seul capitaliste, soit dans celles d'une seule société ».

    Cependant, cette tendance a été perturbée par des contre-forces (comme d'habitude !). Si les fusions n’étaient pas dues à des besoins techniques, les capitaux géants auraient tendance à se briser en petits capitaux, car ils seraient devenus plus gros, en raison de forces concurrentielles internes – « la répulsion de l’une et l'autre de ses fractions ».
    La croissance d’énormes entreprises n’abolit pas la concurrence. Les énormes entreprises restent encore en compétition les unes avec les autres. Même si elles étaient des monopoles dans leurs domaines, elles seraient en concurrence avec d'autres monopoles (par exemple, même une entreprise qui aurait monopolisé l'aluminium serait en concurrence avec le monopole de l'acier). Les entreprises géantes ont souvent trouvé utile d'utiliser les petites entreprises (comme les producteurs d'automobiles distribuent par des concessionnaires). De nouvelles inventions surgissent, qui peuvent forcer leur chemin dans l'économie politique (comme ce fut le cas pour les ordinateurs personnels). Et il y a des entreprises internationales : depuis des décennies aucune entreprise américaine ne pourrait percer la domination de l'industrie automobile par les constructeurs automobiles de GM, Ford et Chrysler. Puis les entreprises géantes en provenance du Japon, de la Corée et de l'Allemagne (avec le soutien de leurs Etats) furent en mesure de rivaliser avec succès avec l'ex-Big Three.

    Ce développement a été qualifié par Lénine et d'autres de « capitalisme monopolistique ». Il serait plus juste de parler de « capitalisme oligopolistique », qui signifie « la règle de quelques-uns ». Même si un petit nombre domine un champ, ces semi-monopoles faussent les forces du marché de manière monopolistique (les économistes bourgeois appellent cela la « concurrence imparfaite »). Cela comprend la déformation de la loi de la valeur (la tendance des marchandises à être échangées selon la quantité de travail socialement nécessaire qu'elles incarnent) Mais les marchés, même déformés sont toujours des marchés. Même les relations de valeur déformées sont encore des relations de valeur.

    Marx envisageait principalement la croissance de la grande entreprise centralisée comme une forme de progrès. Il était conscient qu’elle causerait de grandes souffrances pour les travailleurs, mais il estimait qu'elle avait jeté les bases pour le socialisme (le communisme), la fin des classes et de la pauvreté.

    Les anarchistes développaient une attitude plus critique à l'égard de la croissance de la grande entreprise. Ils ont convenu qu’elle serait rendue possible un jour à travers un système de production coopératif, à but non lucratif : le socialisme. Pourtant, la centralisation économique était seulement due à des méthodes techniquement plus efficaces de production (un point qui ne contredit pas les prémisses de Marx). Souvent, les entreprises fusionnaient uniquement pour des raisons financières, ou en vue d'accroître leur pouvoir sur les travailleurs, ou encore d'avoir un meilleur accès aux marchés. Ces raisons faibles ont souvent amenées ces semi-monopoles à se briser après un certain temps. Le « capitalisme monopolistique » a souvent causé une centralisation excessive, qui interférait avec une production et une distribution efficace, et qui retenait l’inventivité (les nouvelles inventions et la création d'emplois sont plus susceptibles de se produire dans les petites entreprises que dans les grandes). Ce point de vue était compatible avec l'objectif développé par les anarchistes, d'une économie qui serait socialisée et coopérative, mais aussi radicalement démocratique, avec un fédéralisme décentralisé.

    Effets de l'oligopole sur les capitalistes

    On dit parfois que Marx a prédit que la croissance du capital concentré mettrait fin à l'existence de couches intermédiaires entre la bourgeoisie possédante d'actions et la classe ouvrière. Ce n'est pas vrai. Marx s’attendrait à ce que les petits hommes d'affaires, les professionnels indépendants et les petits agriculteurs diminueraient en nombre avec la croissance de la grande entreprise. Mais il a aussi prédit que les entreprises devenant énormes provoqueraient une scission entre la propriété du capital et le travail de gestion de l'entreprise. « Une armée d'ouvriers industriels, sous le commandement d'un capitaliste, nécessite, comme une véritable armée, des officiers (cadres), et des sergents (contremaîtres, surveillants) ... Le travail de supervision devient leur place et fonction exclusive" (Le Capital I 1906 ; p 364). Comme les entreprises capitalistes se développent, les capitalistes eux-mêmes deviennent superflus, au moins pour les aspects productifs. Les gestionnaires gèrent. Les capitalistes investissent dans le marché boursier.

    Cette nouvelle couche de gestionnaires et des superviseurs est essentiellement destinée à deux tâches. L'une est la coordination technique des différents travaux qui s’installent. Il s’agit de quelque chose qui devrait être fait dans tout système économique. Sous la démocratie socialiste, l'assemblée des travailleurs pourrait planifier le travail, les travailleurs pourraient élire un coordinateur, ou alors, effectuer cette tâche à tour de rôle. Dans la mesure où les gestionnaires capitalistes font un travail technique nécessaire, ils font partie du travail collectif qui produit les matières premières.

    D'autre part, ils sont les agents des capitalistes et les personnifications du capital. Leur travail consiste à conduire les esclaves salariés à leurs travaux et à vérifier que les travailleurs ne « paressent » pas. Même si les superviseurs peuvent développer des intérêts qui entrent en conflit avec ceux des propriétaires capitalistes, en ce qui concerne les travailleurs, ils font partie de l'ennemi de classe.

    Pour Marx, le remplacement des entreprises familiales et la gestion par des sociétés de capitaux toujours plus grandes mène vers la fin du capitalisme, dans sa dernière phase. Il résume : « Ceci est l'abolition du mode de production capitaliste dans le mode de production capitaliste lui-même ... Il établit un monopole dans certains domaines et nécessite donc une ingérence de l'Etat. Il reproduit une nouvelle aristocratie financière, une nouvelle variété de parasites ... tout un système d'escroquerie et de fraude par le biais de la promotion de la société, l'émission d'actions, et la spéculation boursière ... » (Le Capital III , 1967;. p 438). Il pensait que la croissance de semi-monopoles se traduirait par une plus grande implication de l'Etat dans l'économie ainsi que la croissance de la finance et de la spéculation (tout ceci s’est réalisé).

    Effets de l'oligopole sur la classe ouvrière

    La « théorie de la paupérisation » supposée – que la croissance des grandes entreprises se traduirait par une pauvreté croissante parmi la classe ouvrière – constitue une mésinterprétation fréquente de la pensée de Marx. Il s’agit là d’une déformation de sa « Loi générale de l'accumulation capitaliste » (Pour le répéter: tous les « lois » de Marx sont des « tendances », qui produisent leurs effets malgré des tendances contraires). Il ne pensait pas que tous les travailleurs seraient immédiatement et en permanence poussé à l'extrême pauvreté. Il savait très bien que les travailleurs pourraient être relativement bien payés, tout en étant exploités. Il s’attendait à ce que les travailleurs gagnent un salaire plus élevé pendant les périodes de prospérité du cycle d'affaires.

    Les capitalistes tentent constamment d’exercer une pression à la baisse sur le niveau de vie des travailleurs, ces derniers exerçant une pression en sens inverse. Pendant un certain temps, cette tendance évolua en une valeur relativement stable de marchandise force de travail. Mais les capitalistes continueront de pressurer les travailleurs, en particulier lorsque les taux de profit diminueront (voir plus loin), et lorsque les patrons se sentiront plus forts en raison de la centralisation accrue. L’augmentation de la productivité permet aux capitalistes de maintenir, voire de réduire, la valeur de ce qu'ils paient aux travailleurs, tout en maintenant leur niveau de vie à en juger par les valeurs d'usage. Cette tendance est au moins valable jusqu'à ce que la crise soit tellement aigue, le taux de profit tellement faible, que les capitalistes doivent attaquer les travailleurs et réduire radicalement leurs salaires.

    Les travailleurs se battent pour maintenir le niveau de vie pour eux-mêmes, ainsi que leurs familles – et, si possible, pour l'améliorer. Ce qui est bon, en lui-même, mais, comme l’explique Marx, ne conteste pas directement l'exploitation capitaliste en tant que telle.

    « Mais si un meilleur traitement, une nourriture plus abondante, des vêtements plus propres … ne font pas tomber les chaînes de l'esclavage, il en est de même de celles du salariat. Le mouvement ascendant imprimé aux prix du travail… prouve, au contraire, que la chaîne d'or, à laquelle le capitaliste tient le salarié rivé et que celui-ci ne cesse de forger, s'est déjà assez allongée pour permettre un relâchement de tension… Qu'elles soient peu ou prou favorables, les conditions de la vente de la force ouvrière impliquent la nécessité de sa revente continue et la reproduction progressive de la richesse capitaliste. Il est de la nature du salaire de mettre toujours en mouvement un certain quantum de travail gratuit. L'augmentation du salaire n'indique donc au mieux qu'une diminution relative du travail gratuit que doit fournir l'ouvrier; mais cette diminution ne peut jamais aller loin pour porter préjudice au système capitaliste. ... » (Le Capital I, 1906 ; pp. 677-678).

    (https://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-I/kmcapI-25-1.htm)

    A mesure que l'accumulation capitaliste et la centralisation augmentent, les travailleurs peuvent obtenir de meilleurs salaires pour un temps ou les voir diminuer. Néanmoins, leur domination par la puissance croissante des capitalistes s’aggrave. Pendant ce temps, l'augmentation de la productivité (de la composition organique croissante du capital) continue de réduire la proportion de la population humaine nécessaire à la production. Les gens perdent leur emploi, ce qui élargit l'armée de réserve des chômeurs, le bassin de travailleurs sans emploi. Leur pauvreté et leur misère s’approfondit au fil du temps, et menace de tirer vers le bas les normes des travailleurs organisés eux-mêmes.
    « A mesure que le capital accumule, le sort de l'ouvrier, soit son paiement élevé ou bas, doit s’aggraver... Cette loi attache l'ouvrier au capital... » (Le Capital I, 1906 ; pp. 708-709; c’est moi qui souligne).

    L’Oligopole et le taux de profit

    De quelle manière la tendance à la baisse du taux de profit est-elle affectée par la tendance à l'oligopole, au monopole, et même à l'unification complète (le capitalisme d'Etat) ? De toute évidence, la productivité continue d'augmenter, ce qui augmente la composition organique du capital, ce qui devrait réduire le taux de profit. Mais est-ce vrai ?

    L'effet immédiat du monopole/de l’oligopole sur les taux de profit est d'interférer avec le taux de profit moyen. Les entreprises géantes peuvent augmenter leurs prix et, partant, leurs profits, sans se soucier du fait que d'autres capitalistes investiront dans leur domaine et feront baisser les prix et les profits. En raison de leur position de monopole, ils peuvent tenir à l'écart d'autres concurrents possibles (par définition, ce qui est ce qui rend c’est ce qui constitue leur position de monopole). Leur position de monopole (ou de semi-monopole) peut être due à la propriété des brevets ou de leur taille énorme. Il faut beaucoup de capitaux pour arriver percer dans les industries de l'acier ou des automobiles américains (c’est pourquoi seules des entreprises géantes étrangères ont pu le faire).

    Par conséquent, les entreprises géantes peuvent obtenir et conserver une quantité disproportionnée de la plus-value produite dans la société. Ce qui signifie que les plus petites des entreprises en prennent proportionnellement moins (la plus-value doit venir de quelque part). Toutefois, cela ne change pas le montant total de la plus-value produite par le corps collectif de la société des travailleurs.

    L’autre effet de grandes entreprises concentrées et centralisées est qu'elles produisent de grandes quantités de surplus dans un seul endroit. Alors que le taux de profit ne peut pas être élevé, le montant forfaitaire de l'une quelconque société sera grand. Cela ne change pas le taux réel de profit, mais il modifie les effets de la baisse du taux de profit. Une somme d'argent importante, concentrée, peut être utilisée pour d'autres investissements d'une manière dont la même somme d'argent, dispersée autour dans les petites entreprises, ne le peut pas.

    Les grandes entreprises peuvent également augmenter les profits grâce aux économies d'échelle dans la production. Cependant, comme les anarchistes et d’autres décentralisateurs (Borsodi, Schumacher, etc.) l’ont fait valoir, il existe aussi des pertes d'échelle que l’on remarque rarement. Par exemple, une usine centralisée qui produit tous les guichets dans le monde peut les produire beaucoup moins cher que ne le feraient des ateliers de fabrication de guichets locaux. Mais l'usine aurait besoin d’importer des matières premières, les machines, et des travailleurs sur de grandes distances, et ensuite d'expédier les guichets finis sur de grandes distances. Cela crée des coûts additionnels qu’une production locale n’aurait pas. Ces des-économies d'échelles peuvent constituer un facteur déterminant dans la scission de semi-monopoles étendus. Les avantages de la production centralisée, liés à l’équilibre produit à travers les coûts de distribution doivent être déterminés empiriquement, mais c’est rarement le cas. (Dans les années 1930 Ralph Borsodi calculé que 2/3 des biens les plus bon marché ont été fabriqués localement, avec de petites machines, plutôt qu'à l'échelle nationale. Mais la technologie a beaucoup changé depuis, et il n'a pas effectué ce calcul pour la production régionale).

    En outre, les monopoles et les semi-monopoles sont soumis à moins de pression concurrentielle et sont donc peut-être moins inventifs et productifs. Les monopoles ont tendance à la stagnation. D'une part, ils produisent moins de valeur. D'autre part, en ralentissant la croissance de la productivité, ils ralentissent la croissance de la composition organique du capital et donc de la baisse du taux de profit. La manière dont ça se compense est une question empirique. Mais à long terme, la baisse du taux de profit ne peut pas vraiment être contrecarrée par d'autres causes de stagnation.

    Cependant, l'effet le plus important de la croissance des grandes entreprises concentrées sur les taux de profit est son effet sur le cycle économique. Si le cycle effectue tout le chemin à travers le krach final (comme il l'a fait en 1929), sous le capitalisme oligopolistique le krach donnera un effet très mauvais. Plus les entreprises sont énormes, plus leur chute sera énorme. Elles doivent d'énormes dettes à d'autres sociétés et aux banques. Elles emploient un grand nombre de personnes. Elles achètent d’un côté et vendent de l'autre, ainsi que de nombreuses petites entreprises. Leurs conseils d'administration se chevauchent. Donc, si l'une d'elles tombe, l'effet sur l'ensemble de l'économie sera énorme. Le problème de garder une économie oligopolistique sur pieds est également énorme. Alors que les économistes bourgeois classiques affirment qu’un marasme économique pourra toujours résorber, Keynes a fait valoir le fait que ce n'était plus automatiquement vrai. A l'âge des semi-monopoles, il avait raison. La Grande Dépression a duré dix ans, et à la fin, près de 20% de la population active américaine était encore au chômage. Il a fallu une guerre mondiale pour qu’elle se termine finalement (voir ci-dessous).

    Par conséquent, la classe capitaliste et ses économistes, ainsi que les politiciens, ont décidé de ne pas laisser arriver une autre Grande Dépression. Les sociétés et les banques sont « trop grandes pour faire faillite » (comme l’exprime le slogan), ou plutôt, « trop grandes » pour qu’on en autorise la faillite. Les gouvernements et les banques centrales feront tout leur possible pour empêcher une autre dépression. Les méthodes habituelles sont des stimuli économiques et des subventions, les réductions d'impôts, et des manœuvres monétaires qui diminuent les taux d'intérêt.

    En supposant que ces méthodes fonctionnent, pour un temps au moins, ils ne peuvent pas bannir complètement le cycle d'affaires et de ses krachs, mais ils peuvent les moduler, les rendre moins désastreux. Cependant, ce phénomène produit une conséquence involontaire. Les petits ralentissements ne peuvent pas remplir leur fonction historique d'assainissement de l'économie capitaliste. Sans les grands krachs, des entreprises inefficaces ne peuvent pas faire faillite ; les parties inefficaces des combinaisons monopolistiques peuvent rester en affaires (par opposition à devenir "épurées et concentrées") ; les coûts de matériaux ne diminueront pas autant ; le niveau des salaires ne diminuera pas beaucoup non plus ; les dettes ne seront pas radiées, mais continueront à s’accumuler. Comme les coûts des affaires ne diminuent pas, le taux de profit ne peut pas obtenir un coup de pouce, afin de lutter contre sa tendance à chuter. La faible profondeur du cycle d'affaires dans les années 1950, dont les économistes bourgeois étaient si fiers, préparait la voie à de plus grandes catastrophes.

    Le retour de l'accumulation primitive

    Augmentant la richesse par des non-marchés, ou au moins par des non-productions de valeur, les méthodes ne sont jamais allées bien loin, même à l'apogée du développement capitaliste. Maintenant, elle est de retour avec une vengeance. Comme elle n’est plus « primitive » (ou « primaire »), d'autres termes sont parfois utilisés ; David Harvey (2010) préfère par exemple « accumulation par dépossession ». Il comprend la privatisation des industries publiques, la privatisation des ressources naturelles (comme l'eau), l'ensemble du processus de dénationalisation des anciens pays « communistes » (rendant l'économie aux capitalistes traditionnels), le décapage des actifs des sociétés les plus faibles, des efforts de breveter le matériel génétique, en continuant d’enfoncer les gens de la terre en Chine et dans le monde, etc.

    Cette accumulation primitive récente vaut surtout pour le pillage de la nature. La classe dirigeante agit comme le gestionnaire capitaliste de l'entreprise qui vend ses marchandises pour l'équivalent du capital variable, du capital constant, et du profit moyen. Après la vente de ses marchandises, il doit mettre de côté de la somme d’argent équivalent au capital constant pour pouvoir éventuellement payer de nouvelles machines et des bâtiments lorsque les anciens seront usés. Mais à la place, il ne le fait pas. Il compte l’équivalent du capital constant comme une partie de son profit, créant ainsi ce qui semble être un profit plus grand que ce qu’il a vraiment gagné. Une partie de ses profits est vraiment fictive. Peut-être qu'il utilise une partie de la valeur du capital constant pour acheter les travailleurs avec des salaires plus élevés (en le comptant comme capital variable). Le jour viendra où ses machines s’useront. Cette entreprise apparemment prospère va alors échouer, car elle ne pourra pas remplacer les machines.

    La bourgeoisie des États-Unis et du reste du monde devrait avoir mis de côté la richesse pour se préparer à la transition du pétrole, du charbon et du gaz naturel à l'énergie renouvelable. Elle aurait dû payer pour nettoyer l'environnement et prévenir le réchauffement climatique. Au lieu de cela, elle a compté sa richesse en tant que profit et acheté une couche de la classe ouvrière en lui offrant un niveau de vie apparemment décent.

    Pendant ce temps, toute notre civilisation est bâtie sur les carburants à base de carbone (pétrole, charbon et gaz naturel). Non seulement notre système de transport, mais aussi notre nourriture (qui repose sur les engrais et les pesticides artificiels artificielles, à base d'huile). Et toutes les choses que nous utilisons sont à base de matières plastiques et de fibres artificielles (de pétrole). Mais ce sont des matières premières limitées, non renouvelables, qui, tôt ou tard, à terme deviendront de plus en plus difficile d'accès. Ils polluent nos aliments, nos terres, notre air et notre eau. Et ils sont à l'origine du réchauffement climatique, qui va provoquer une catastrophe dans le monde entier.

    Parfois, lorsque les prix de l'essence montent, les libéraux prétendent que les compagnies pétrolières pratiquent volontairement une sur-tarification. Cela peut être immédiatement vrai, mais à long terme, c’est tout le contraire. Parce que les compagnies pétrolières ne comprennent pas les coûts dont ils auront éventuellement besoin pour obtenir l'huile plus difficile à atteindre, ou pour développer des sources d'énergie nouvelles une fois que les sources actuelles de pétrole seront épuisées, ils pratiquent tous une sous-tarification des coûts réels de la production de pétrole ! (Les conservateurs prétendent que ce changement en faveur de l'énergie renouvelable et d’une économie écologiquement durable serait difficile et coûteux ; ils ont bien raison).

    Ce pillage de la nature ne se résume pas simplement à une question de pétrole et de production d'énergie. Les forêts du monde (les « poumons de la terre ») sont détruites. La surpêche est pratiquée dans les océans jusqu'à l'extinction. D'autres espèces sont en voie de disparition. Le capitalisme traite le monde comme s’il était une mine inépuisable. Marx et Engels ne prévoyaient pas tout cela ; ils attendaient une révolution socialiste bien avant que l'humanité ne soit arrivée aussi près du gouffre. Mais leurs outils nous aident à le comprendre.

    L’Impérialisme

    Pour des raisons connues de lui seul, Lénine a nommé « impérialisme » l'époque du capitalisme tardif. En fait, l'impérialisme capitaliste remonte aux fondements du capitalisme, avec, entre autres, les empires Britanniques, Espagnols et Français. (Sans parler de l'existence de l'impérialisme pré-capitaliste, comme l'empire romain ou l'empire chinois.)

    Marx a beaucoup écrit sur l'impérialisme de son temps dans ses écrits politiques et ses carnets de note anthropologiques – en particulier au sujet de la domination britannique sur l'Inde, la Chine et l'Irlande, la règle néerlandaise sur l'Indonésie, la domination Russe sur la Pologne, et la tentative française de conquérir Mexique. Mais il n'a pas écrit beaucoup sur son économie.

    Marx considérait le commerce extérieur développé par les pays capitalistes industrialisés d'Europe occidentale comme une base essentielle à leur développement. Poussés par la nécessité de faire des profits, les régimes capitalistes industriels originaux se rendaient à l'étranger pour exploiter la main-d'œuvre, les matières premières et les marchés de consommation des nations les plus pauvres.

    Dans le Manifeste communiste, Marx déclare, à propos de la bourgeoisie, que « Le bas prix de ses marchandises est la grosse artillerie avec laquelle elle nivelle toutes les murailles de Chine vers le sol ... oblige toutes les nations à adopter le mode de production de la bourgeoisie, et si elles ne veulent pas s’y soumettre ; elle les oblige à introduire ce que l'on appelle la civilisation à la maison, soit pour devenir des bourgeois... Il l’a fait ... les nations paysannes [dépendantes] des nations bourgeoises, de l'Orient à l'Occident » (Draper, 1998; pp. 115-117). Marx a écrit que le capital, dans les pays développés, saurait profiter de la main-d'œuvre meilleur marché et des niveaux supérieurs de l'exploitation dans les pays pauvres.

    Les méthodes directement capitalistes ont été ligotées avec l'accumulation primitive, le pillage des populations locales de leurs richesses, par la force et la fraude. Bien que le colonialisme formel (la propriété d'autres pays par les pays d'origines impériales) soit essentiellement terminé, le pillage se poursuit aujourd'hui, grâce à des investissements, des prêts à taux d'intérêt élevés aux gouvernements (y compris par le FMI et la Banque mondiale), aux échanges inégaux, au contrôle sur les brevets internationaux, etc.

    L’attitude de Marx à propos de l'impérialisme capitaliste du début était quelque peu ambivalente. Il y voyait l’établissement de la base de l'industrialisation et de la modernisation dans les pays les plus pauvres, comme un moyen de les sortir (comme il l'a constaté) de la stagnation des sociétés pré-capitalistes. Pourtant, il était conscient de la souffrance que l'impérialisme capitaliste provoquait parmi les gens ordinaires, de la destruction des moyens inoffensifs de la vie. Il éprouvait une sympathie envers les rébellions anti-impérialistes, comme en Inde et en Chine. Il en était venu à considérer la possibilité, pour une société pré-capitaliste, de passer directement au socialisme, de sauter un « stade capitaliste », à condition qu'elle soit aidée par des révolutions prolétariennes dans les pays industrialisés. Aujourd'hui, il est clair qu'une fois que le capitalisme atteint son époque de la décadence, l'impérialisme est un phénomène tout à fait réactionnaire.

    Il existe plusieurs théories marxistes de l'impérialisme actuel, que je ne vais pas revoir dans ce texte d'introduction. Il suffit de dire que les semi-monopoles géants des pays riches, qui dominent le marché mondial, sont motivés par la nécessité de faire des profits et d'accumuler la valeur. Comme tels, ils dominent également les pays les plus pauvres, les plus opprimés, afin de les évider de leurs richesses. Pour maintenir leur pouvoir, les capitalistes des pays impérialistes peuvent utiliser les forces militaires de leurs Etats nationaux, pour envahir et occuper les pays les plus faibles. Implicitement, ils les utilisent aussi pour mettre en garde les Etats impérialistes rivaux. C’est d’autant plus vrai pour les dirigeants des États-Unis.

    En concurrence avec d'autres Etats, les Etats impériaux ont besoin d'opprimer les pays les plus pauvres, les grands impérialistes se sont à plusieurs reprises fait la guerre entre eux, et avec les nations opprimées. Ils ont développés des armes d’une puissance tellement impressionnante qu'ils pourraient anéantir la civilisation et peut-être exterminer la vie sur terre. Seule la puissance de ces armes nucléaires et biologiques à empêché les États-Unis et l'URSS de mener une troisième guerre mondiale. Ils n'ont pas empêché les impérialistes de mener de nombreuses petites guerres contre les peuples opprimés. Maintenant que la guerre froide est terminée et que l'Union soviétique en tant que telle s’en est allée, les bombes nucléaires sont plus répandues que jamais. Elles sont sous le contrôle, de plus, de gouvernements souvent instables, ainsi que d’Etats impérialistes de plus en plus désespérés. Cette situation est extrêmement dangereuse pour la survie humaine.

    La révolution permanente

    L'époque du déclin du capitalisme a un effet politique. Lors de sa naissance, les idéologues du capitalisme ont développé le programme de la démocratie-bourgeoise. Il est basé sur la nature du capitalisme lui-même. Tous les gens étaient censés être égaux, libres, à l’image des atomes dans le marché, et de la même manière ils devraient donc être des citoyens libres et égaux de l’Etat. Lors de l'achat et de la vente sur le marché, la race, la religion, le sexe, les antécédents familiaux, le pays d'origine, etc. de la population ne comptent pas ; tout ce qui compte, c’est de savoir combien d'argent ils ont (une différence quantitative, et non pas qualitative). De même, tous les citoyens doivent être égaux, une personne adulte personne correspondant à un vote. « Un droit inaliénable à la vie, à la liberté, et la poursuite du bonheur ». « Liberté, égalité, fraternité » (ou « solidarité »). Cela impliquait des gouvernements représentatifs, la terre aux paysans, l'autodétermination nationale, et la liberté d'expression et d'association. Ça ne nécessitait pas l'oppression ou la discrimination fondée sur autre chose que le manque d'argent.

    Bien entendu, le capitalisme n'a jamais vécu jusqu'à la réalisation des promesses de son programme promise ! Chaque extension des droits démocratiques a été remportée par le sang des personnes qui se sont battues contre les capitalistes. Pourtant, au fil du temps, il y eut une extension des droits démocratiques bourgeois et de la liberté en général. Le droit de vote a été étendu dans de nombreux pays, les uns après les autres. Les monarchies absolues ont été remplacées par des républiques, ou, au moins, par des monarchies constitutionnelles. Les droits des femmes ont été élargis. L'esclavage a été aboli. Etc.

    Mais Marx s’attendait à que la croissance du capitalisme conduise le capitalisme à un déclin dans son propre programme démocratique. Le problème, comme Engels et lui-même ont pu l’observer, est que l'expansion du capitalisme signifiait l'expansion de la classe ouvrière. La bourgeoisie avait alors plus peur du prolétariat qu'elle ne l'avait des dirigeants autoritaires, non démocrates. Une révolution réussie contre l'aristocratie féodale allait inspirer les travailleurs à poursuivre la révolution en une autre contre la bourgeoisie. La démocratie accrue serait utilisé par les travailleurs à s’organiser contre la classe capitaliste. Cela menacerait la bourgeoisie.

    Dans leur Adresse du Comité central de la Ligue communiste (Mars 1850), Marx et Engels ont tiré les leçons de la défaite des révolutions européennes de 1848 à 1850. Ils en ont conclu que les travailleurs devraient soutenir les libéraux-démocrates contre les Etats autoritaires, mais ne jamais leur faire confiance ; ces derniers vendraient la lutte par peur de la classe ouvrière. Les travailleurs doivent s’organiser indépendamment de la bourgeoisie, même de son aile la plus libérale. Les travailleurs devraient pousser tout du long, jusqu'à la règle des travailleurs et au début du socialisme, ceci étant le seul moyen d'atteindre les exigences mêmes limitées de la démocratie bourgeoise. Ils ont conclu en disant des travailleurs que « leur cri de guerre doit être: La révolution permanente » [ou, « La révolution en permanence »]. Par « permanente », ils voulaient signifier « sans interruption », « tout du long », « ne pas s’arrêter à aucun moment ».

    Dans sa période de déclin, le capitalisme cesse d'être un champion de la démocratie, même bourgeoise. Pour que les droits démocratiques soient gagnés en toute sécurité, la classe ouvrière doit amener ses alliés a renverser le capitalisme totalement et créer une véritable et complète démocratie (système d'auto-décision des conseils, de la gestion de la production par les travailleurs, etc) socialiste (communiste). Pour obtenir des droits démocratiques-bourgeois stables et durables, il est nécessaire d'aller, au-delà du capitalisme, vers la démocratie socialiste. Marx et Engels ont noté que la montée de l'Etat bourgeois semi-autonome, avec un cadre bureaucratique et militaire, servait le capitalisme global, mais n’était pas directement contrôlée par la classe capitaliste. Ils ont appelé cette tendance le « bonapartisme », d’après la règle de Napoléon et plus tard celle de son neveu.

    Le slogan de la « révolution permanente » est souvent, même habituellement, en lié à Léon Trotsky. Il est donc supposé faire partie du programme trotskyste (une variante du léninisme). En fait, la révolution permanente a d'abord été soulevée par Marx et Engels. Trotsky, et d'autres, plus tard, s’en emparèrent et élaborèrent à partir d’elle. Fait intéressant, dans la période où Trotsky a élaboré sa version de la révolution permanente (début des années 1900), il n’était pas un léniniste, mais un adversaire du point de vue de Lénine au sein du parti (puis en maintenant une position similaire à Rosa Luxemburg). Il a changé son point de vue à ce sujet plus tard, mais les autres léninistes n'ont jamais accepté sa théorie (ou toute autre) de la révolution permanente.

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