Eklablog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

théorie critique et émancipation radicale

Fabien Roussel : quand le "Roussellement" sent le roussi !

Fabien Roussel vient d'ajouter une nouvelle trouvaille qui devrait figurer dans tous les nouveaux dictionnaires d'économie : le "Roussellement". De quoi s'agit-il ? Fabien Roussel entends par là proposer l'inverse de la théorie du ruissellement. En quoi consiste cette dernière ? Le ruissellement est le fait de faire des cadeaux aux riches pour stimuler l'investissement, et ainsi créer de l'emploi, relancer la consommation et donc la croissance. En réalité, les bilans de ces politiques sont très mitigés, voire non concluants1. Le "Roussellement", c'est l'inverse : augmenter le pouvoir d'achat, donc les salaires et les pensions retraites... dans l'idée de stimuler la consommation et de relancer la croissance. Rien de nouveau sous le soleil donc. Nous nous situons ici dans l'éternel débat entre politique de l'offre et politique de la demande, qui anime les partis de gouvernement depuis plusieurs décennies, débat qui aborde les problèmes causés par le capitalisme de manière totalement superficielle et demeurent incapables d'en saisir les rouages et donc les enjeux et solutions réelles.

Les vrais problèmes du capitalisme

Si le capitalisme est un système qui convulse dans la crise et ne peut satisfaire les besoins des individus, ce n'est pas à cause d'un simple problème de distribution des richesses entre salaires et profits. Dire que les problèmes économiques et sociaux résiderait dans la sous-consommation des masses et qu'il suffirait d’augmenter les moyens solvables de consommer pour y remédier est une erreur. Pour Marx, le fait que les hausses de salaires aient lieu en fin de cycle d'accumulation et précèdent généralement les crises plutôt qu'elles ne les éloignent justifiait la dimension infondée de telles théories2, très courantes au sein de la gauche réformiste, toujours de nos jours.

Les crises ne viennent donc pas d'un simple problème de trop grande prédation de la part des capitalistes.

Tandis que ces types de crises n'existaient pas dans les sociétés pré-capitalistes, elles deviennent possibles en régime capitaliste du fait de la conjonction entre production privée et distribution marchande. On ne produit plus pour soi-même et pour satisfaire ses besoins. On produit pour autrui. L'échange de marchandises contre de l'argent permet d’acquérir d'autres marchandises, qui permettent la satisfaction des besoins. Seulement voilà, cet échange doit correspondre à un besoin social solvable, qui n'est pas garanti, ni en lui-même, ni en quantité suffisante et de manière durable, ni dans le laps de temps nécessaire. Si l'on ne parvient pas à vendre la marchandise, pas suffisamment ou assez rapidement, la consommation individuelle diminue en conséquence, ce qui affecte les ventes et la consommation d'autrui. Si ce phénomène se répète, la déroute individuelle peut dégénérer en crise systémique. Ce risque est favorisé par le fait que la production privée est généralement aveugle aux besoins sociaux, et notamment car plusieurs entreprises peuvent s'engager simultanément et de manière concurrente dans la production de marchandises similaires en grande quantité, pour un marché restreint. Pour s'en sortir face à ce risque, la seule solution est de devenir plus productive que les autres, ce qui passe notamment par l'acquisition de toujours plus de machines de plus en plus performantes.

Cette course à la productivité par un équipement technologique de plus en plus lourd est quant à elle la cause de la crise industrielle fondamentale du capitalisme. Comme la plus value, (et donc le profit), est tirée de la part de travail humain non-payé aux salariés, l'élévation croissante des investissements en bien d'équipements tend à faire baisser la part des profit par rapport à l'ensemble du capital investi. Cette baisse du taux de profit tend à créer la panique chez les capitalistes. Elle est le signe d'un état de concurrence exacerbé où la production de marchandises devient trop importante par rapport aux besoins solvables, où les stocks s'accumulent, où la production s'arrête et où nombre d'entreprises se voient condamnées à la faillite. Les entreprises restantes ont ainsi tendance à s'étendre et dominer le marché et voient leur taux de profit remonter, c'est le stade des monopoles. Cependant, les monopoles ne sont jamais autre chose que des entreprises géantes en concurrence entre elles à une échelle plus importante. Depuis un siècle, elles le sont à l'échelle mondiale. Ceci signifie qu'une crise du capitalisme peut provoquer l'effondrement de l'économie mondiale. La grande crise de 1929 en a été une première illustration. Elle a été d'une telle intensité qu'elle a plongé le capitalisme dans un marasme insoluble, qui a abouti à la guerre. Après celle-ci, les capitalistes et gouvernements du monde entier ont pris le parti de l'interventionnisme et ont développé toutes sortes de politiques bancaires et financières pour soutenir les économies en crises et atténuer l'intensité de ces dernières. La crise ne pouvant aller à son terme, le capital ne pouvant enclencher de nouveau cycle d'accumulation, il en découle une surcacumulation et une dévalorisation de moyens de production, d'argent ne pouvant remplir leur fonction de capital et un état de stagnation-récession de l'économie, entrecoupé de crises ressenties moins intensément, mais rapprochées dans le temps, c'est à dire quelque chose qui se rapproche d'un état de crise permanente.

Des théories pourtant présentes au PCF

Les théories sous-consommationnistes sont monnaie courante à gauche. On les retrouve tout autant chez Mélenchon que dans diverses formations issues de l'écologie.

Mais, à la différence de ces formations, il est d'autant plus étonnant d'entendre des thèses sous-consommationnistes dans la bouche d'un représentant du Parti Communiste, non pas parce que le PCF est depuis longtemps réformiste au lieu d'être révolutionnaire, mais parce que ces logiciels théoriques marxistes sont ceux enseignés dans le cadre des formations du PCF et utilisés par sa commission économique3, bien que leurs conclusions régulationnistes et réformistes diffèrent de celles d'autres analystes marxistes. L'absence de telles analyses chez Roussel pose donc question. Une chose est certaine, véhiculer de fausses compréhensions de la crise n'aide pas le prolétariat a marcher sur le chemin de son émancipation.

Augmenter les salaires et les retraites oui... pour faire tomber le capitalisme !

Contester le discours sous-consommationniste de Roussel ne signifie pourtant pas récuser les revendications de hausses des salaires et des pensions retraite. Celle-ci sont nécessaires pour faire face à l'inflation et justes dans la bataille qui oppose bourgeois et prolétaires. Mais il s'agit de donner à cette lutte une autre compréhension et une autre signification. Si l'on en suit certaines analyses marxistes, comme celle de Paul Mattick4, la tendance à la concentration-centralisation du capital implique des investissements toujours plus lourds en moyens de production, qui exercent une pression à la baisse du taux de profit. Celle-ci peut être un temps compensée par une hausse de la masse de valeur produite. Cependant, à plus long terme, se produit une chute de la masse de valeur produite. Les investissements toujours plus importants en moyens de production induisent une tension accrue entre la part destinée à la consommation personnelle des capitalistes et la part des salaires prolétaires. Le capitalisme ne peut donc à terme assurer une hausse des salaires et suppose à un moment de son processus, soit la paupérisation de la classe ouvrière, soit la ruine et l'expropriation de la classe capitaliste. Et même après que les capitalistes soient expropriés, si l'organisation globale de la production reste fondée sur les mêmes bases, la croissance des besoins en moyens de production exerce une pression sur les salaires qui suppose soit la paupérisation soit l'abandon du système. Puisque le capitalisme ne peut offrir ce que recherchent les prolétaires, il faut l'abolir !

Lutter pour la hausse des salaires, c'est donc assumer le fait que l'on accélère le déclin du capitalisme et la transition vers un autre système, qui, pour satisfaire les besoins de toutes et tous, ne pourra qu'abolir le salariat, le travail, la marchandise, la valeur et l'argent.

2 Karl Marx, Le Capital, Livre II : « C’est pure tautologie que de dire : les crises proviennent de ce que la consommation solvable ou les consommateurs capables de payer font défaut. (...) Dire que des marchandises sont invendables ne signifie rien d’autre que : il ne s’est pas trouvé pour elles d’acheteurs capables de payer, donc de consommateurs (que les marchandises soient achetées en dernière analyse pour la consommation productive ou individuelle). Mais si, pour donner une apparence de justification plus profonde à cette tautologie, on dit que la classe ouvrière reçoit une trop faible part de son propre produit et que cet inconvénient serait pallié dès qu’elle en recevrait une plus grande part, dès que s’accroîtrait en conséquence son salaire, il suffit de remarquer que les crises sont chaque fois préparées justement par une période de hausse générale des salaires, où la classe ouvrière obtient effectivement une plus grande part de la fraction du produit annuel destinée à la consommation. Du point de vue de ces chevaliers, qui rompent des lances en faveur du « simple » bon sens, cette période devrait au contraire éloigner la crise ».

Voir aussi : « La sous-consommation des masses est une condition nécessaire de toutes les formes de société reposant sur l’exploitation, donc aussi de la société capitaliste ; mais seule la forme capitaliste de la production aboutit à des crises. La sous-consommation est donc aussi une condition préalable des crises et elle y joue un rôle reconnu depuis longtemps ; mais elle ne nous explique pas plus les causes de l’existence actuelle des crises que celles de leur absence dans le passé. »

Freidrich Engels, Anti-Dühring

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article