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Barrage à l'extrême droite : loin du choix moral, une nécessité tactique !
Dans la séquence actuelle, où l'extrême droite cumulée pointait à 30% des intentions de vote du premier tour, sans compter les réserves de voix de la droite dure, et où Marine Le Pen est encore parvenue à se hisser au second tour avec 47 à 48,5% d'intentions de vote, se pose à nouveau la question du vote barrage. Loin de se résumer à un simple choix moral en âme et conscience, le vote barrage est une nécessité tactique dans une bataille plus large contre un ennemi en pleine ascension, et ce notamment à l’heure où les mouvements sociaux n'ont pas retrouvé leur vigueur et leur force d'antan.
Se méfier de la stratégie du pire
Certains, peu heureusement, parmi l'extrême gauche, estiment qu'il serait peut-être préférable de laisser passer l'extrême droite pour que le peuple se réveille enfin et se décide à lutter. D'autres ont tendance à renvoyer dos-à-dos capitalistes et extrême droite, estimant également que finalement, les empiétements sur les libertés des gouvernements libéraux successifs font le lit du fascisme et que celui-ci n'aurait plus qu'a venir s'y coucher, ce qui ne marquerait pas une grosse différence.
Au contraire, ce que nous démontrent les expérience de gestion municipales d'extrême droite, c'est non seulement que la résistance n'est pas au rendez vous, et que la première réaction est davantage la sidération, mais aussi que lorsqu’elle s'est installée au niveau municipal, l'extrême droite à eu tendance à y rester durablement. La gestion municipale à été bien plus violente envers le tissu associatifs, culturel, social, politique et syndical que ne le sont celles des libéraux.
L'argument de la difficile nécessité pour le RN, s'il parvenait à la présidence de la république, de regrouper une majorité parlementaire pour gouverner, trouve quant à lui un contre-argument présent dans le programme de Marine Le Pen : l'usage des référendums pour légiférer en court-circuitant le parlement. Certes, on ne peut prédire si cet outil serait utilisé à outrance, où simplement à des moments stratégiques clés (ce qui est le plus probable), mais il permettrait de contourner les verrous démocratiques encore existant en tant que contre-pouvoir au niveau institutionnel. De plus, n'oublions pas que nous sommes en temps de crises multiples. Ces derniers sont des moments privilégiés pour les recours aux divers mesures d'exception et obtention des pleins pouvoirs, soit aux glissements vers des dictatures qui, au vue du contexte, trouveraient moult raisons d'être prolongées indéfiniment.
Quelle résistance pourrions nous y apporter ? La réponse à cette question, au vue des expériences locales de prise du pouvoir par l'extrême droite, est plus que pessimiste. Le programme de l'extrême droite est clairement de démolir les contre-pouvoirs sociaux et syndicaux et avec une absence de réaction de masse, ces organisations se retrouveraient bien trop démunies pour mener la résistance seules.
Le dernier argument qui peut être opposé au vote barrage est, au regard de l'expérience internationale, que lorsque les gouvernements d'extrême droite ou conservateurs ont gouverné, ils ont non-seulement dû concéder sur leur programme aux exigences du capital, mais aussi que l'expérience fut un échec qui tend à décrédibiliser ces formations politiques plus que de les considérer comme une menace réelle.
Cependant, la menace pour certaines personnes est bien réelle, à commencer par les femmes, les minorités de genre, religieuses, les personnes racisées, les migrant.e.s. Et dans la mesure où l'extrême droite propose davantage d'impunité policière et où son ascension au pouvoir constituerait un tremplin pour des formations plus radicales et violentes, le pire serait à craindre pour ces personnes.
Pour toutes ces raison, il est toujours préférable que l'extrême droite ne parvienne JAMAIS au pouvoir.
Le vote barrage, une tactique nécessairement collective et pas un choix individuel.
Le vote barrage est parfois présenté comme se résumant à une question morale, de choix individuel en âme et conscience. Or un papier mis silencieusement dans une enveloppe dans l'intimité d'un isoloir n'aurait que peu d'impact à l'échelle de la société. Un tel acte ne permettrait pas d'augmenter la masse de vote barrage de manière conséquente à l'échelle de la société pour qu'elle soit utile. Le vote barrage ne peut être qu'une démarche tactique et collective, et partant, militante. Il s'agit de communiquer à échelle plus large, de convaincre autrui d'en faire de même, sans quoi, cette démarche ne pèsera pas lourd dans la balance.
Les échecs des précédents votes barrages ne disqualifient pas ce choix tactique
Entre le duel Chirac Le Pen père de 2003, remporté haut la main par le premier avec 80% des suffrages exprimés, le duel Macron vs Le Pen fille, emporté à 69% par l'actuel président, et la période actuelle, on peut constater que l'extrême droite n'a fait que progresser. Ainsi, la mobilisation électorale de type « front républicain contre le fascisme », s'avère insuffisante pour repousser la montée des idées réactionnaires. Comment comprendre cette progression ? De nombreux arguments sont développés sur nombre de publications antifasciste et il ne s'agira pas d'en faire l'inventaire ici. Signalons simplement que lorsque les mouvements sociaux sont forts, l'extrême droite recule et inversement. Ainsi, la montée de l'extrême droite est aussi liée aux difficultés de la riposte syndicale et sociale contre les offensives néolibérales. De plus, le barrage syndical antifasciste semble d'autant plus friable que certains syndicats moins combatifs socialement ne jouent pas le jeu de lutter véritablement contre les idées d'extrême droite en leur sein. Au contraire, ils tolèrent que leurs adhérents puissent voter pour le RN ou maintenant Zemmour. Une telle stratégie ne peut être que néfaste. L'adhésion à un syndicat devrait être conditionnée à une formation antifasciste obligatoire sur les dangers de l'extrême droite et son programme anti-syndical, formation avec laquelle l'adhérent.e devrait nécessairement être en accord pour avoir sa place dans le syndicat.
Vote barrage et construction des luttes ne sont pas contradictoires mais complémentaires
Le vote barrage, jugé inefficace en soi, est parfois opposé à la construction des luttes sociales et syndicales, seul véritable barrage au capital et à la montée de l'extrême droite. Il s'agirait donc, dans cette conception, non pas de voter, mais de participer à la construction et au renforcement des outils syndicaux, associatifs, et militants, antifascistes, antiracistes, féministes et LGBT+.
En vérité, les deux ne sont simplement pas incompatibles. Elles sont complémentaires. Le vote barrage s'adosse à la construction des luttes. Il n'est qu'un moyen de rajouter un peu de temps à la pendule lorsqu'on n'a pas encore eu le temps de colmater les brèches sociales et que la digue est sur le point de sauter.
Comme nous avons pu le constater, il ne permet pas de faire reculer des idées d'extrême droite en soi. Il permet simplement de repousser l'heure de l'accès au pouvoir de ces formations. Si le barrage permet de freiner la marche, c'est un moyen à ne pas mettre de côté, la bataille des idées se menant entre deux élections.
Le vote barrage n'est pas le font uni de la république mais le choix tactique de sont futur adversaire
En 2017, au moment du second tour, les militants de Macron n'avaient pour seul argument que « c'est nous où le fascisme ! ». Et il était tout à fait possible de leur rétorquer : « mais vous allez profiter du vote barrage pour faire passer toutes vos réformes antisociales », ce qui fut effectivement le cas. Leur seule argument était encore une fois : « c'est nous où le fascisme ». Très convainquant en effet ! Ils auraient du dire « le combat sera entre vous et nous où il sera entre vous et le fascisme ». Et ce fut aussi le cas. En témoignent les nombreuses luttes, des plus globales et visibles aux plus sectorielles et discrètes. Le mouvement social ne s'est pas soumis à la « légitimité démocratique » de Macron, mais lui a résisté dans la rue, dans les quartiers, dans les boites.
Aujourd'hui, on peut encore entendre parfois les arguments suivants : voter contre Le Pen, c'est cautionner Macron et ses réformes antisociales. Au regard des luttes menées contre la politique de Macron, dont personne n'était dupe lors de sa précédente élection, on est en droit d'en douter. Cette conception ne tient pas la route.
Mais pour la réfuter, il reste à comprendre quels sont ses présupposés et surtout ses tenants et aboutissants tactiques ?
Tout d'abord, appeler au barrage, est-ce nécessairement cautionner ? Penser ainsi relève d'une simple question de perception fétiche du vote, fétiche au sens de la petite statuette que l'on pense magique, de projection de sens symbolique dans quelque chose qui en est en réalité dépourvu de manière intrinsèque. On fait ainsi comme si le vote contenait un sens immanent, cautionner le président élu et sa politique. Penser ainsi, c'est penser dans les termes de l'univers unidimensionnel du discours clos que tente de nous imposer le système.
La caution sera ainsi l'argument du camp qui cherche à asseoir sa légitimité, ou du camp oppositionnel qui cherche à faire tomber en disgrâce un concurrent en se présentant comme le pur résistant à côté de celui qui s'est sali les mains et que l'on fait passer pour un traître complice de l'ordre en place.
Contrairement à ces types de raisonnements moralistes, parfois opportunistes, et fondamentalement subjectifs, la situation objective est qu'à défaut d'un mouvement révolutionnaire, l'ordre républicain est stable, ses lois et son fonctionnement sont respectés et un.e candidat.e sera nécessairement élu.e. Partant, une partie de la tactique consiste à tenter de choisir l'adversaire du mouvement social durant les 5 ans à venir, à déterminer quelle sera la situation la plus favorable, la moins défavorable, tant d'un point de vue humanitaire, des potentialités, fortes ou faibles, de lutte et de résistance ; et l'autre, bien entendu sera celle de la possibilité des révolutionnaires à tirer leur épingle du jeu en fonction de leur choix d'appeler barrage ou pas, et de la réception populaire de ce choix (seront-ils compris dans leur démarche de gagner du temps pour construire ou jugés traîtres complices de l'ordre établi ?).
Dans l'état actuel des choses (recul du mouvement social), les potentialités de lutte sont faibles, et maintenir davantage d'Etat de droit plutôt que de précipiter d'Etat d'exception (pour ne pas dire la « dictature ») reste préférable pour une construction dans la durée sur les bases structurées (notamment des syndicats encore assez massifs, organisés, avec beaucoup de conquêtes encore non-reprises, et un tissu associatif encore préservé dans lesquelles les personnes des associations dissoutes peuvent venir se réorganiser et poursuivre le combat) dont nous disposons encore actuellement.
Une impopularité passagère en cas de vote barrage ne sera pas si problématique. Le jour de la révolution, le pseudo argument de la complicité par le vote barrage en période réactionnaire, avancé par des concurrents et détracteurs, aura disparu des mémoires où ne pèsera pas lourd en termes d'adhésion de masse à des formations politiques qui, d'ailleurs auront fortement évolué entre temps et ne seront en rien comparables aux formations actuelles.
Prendre en considération la configuration du second tour
Finalement, faudra-t-il voter barrage en cas de nouveau duel Macron vs Le Pen ? Toujours en considérant la question d'un point de vue tactique, le vote barrage doit être pensé en fonction de la configuration du second tour. Si nous avions eu une estimation supérieure à 60/40% ou plus en faveur de Macron, il aurait été possible de se cantonner à une position abstentionniste, les voix pro-système lui assurant la victoire. Mais avec un Macron vs Le Pen à 53/47 ou 51,5/48,5 %, la réserve de voix libérale et social-démocrate de Macron semble au prime abord insuffisante pour garantir de l'emporter sans le renfort d'un vote barrage. Il est de plus nécessaire de se méfier de la fiabilité des sondages, la balance pouvant rapidement pencher dans l'autre sens. Tandis que l'affaire McKinsey continue de produire son effet, les liens Poutine-Le Pen, ses relations avec le néo-nazisme, les accusations d'escroquerie financières à l'Europe et d'autres casseroles qu'elle traîne sont médiatiquement trop invisibilisés et ne constituent visiblement pas un argument suffisamment dissuasif pour l'électorat populaire égaré qu'arrive à capter l'extrême droite. On se souviendra du changement de ton de la campagne de 2002, qui avait ouvert au père l'accès au second tour. Ne laissons pas la possibilité à la fille de l'emporter cette fois-ci !
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