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Dossier présidentielles 2017 : La crise écologique
Notre époque est traversée par des crises multiples
La société subit actuellement toute une série de crises économiques, écologiques, sociales, culturelles, et politiques. Les partis politiques candidats à l’élection sont soit incapables de reconnaître ces problèmes, soit incapables de formuler des solutions réellement efficaces, soit incapables de les mettre en pratique. Pourtant, des solutions existent. Encore faut-il comprendre les causes du problème et être prêts à opérer les changements qui s’imposent.
Une critique de la croissance et de ses effets destructeurs
Les enjeux du réchauffement climatique
L’objectif fixé par la COP21 était d’éviter un réchauffement global égal ou supérieur à 2 °C. Un réchauffement de 2 °C impliquerait la diminution des rendements agricoles (famines pour 200 000 personnes), un manque d’eau potable (1,8 milliard de personnes concernées), augmentation du niveau de la mer (10 millions de personnes seraient touchées), extension de la zone de paludisme (50 millions de morts), extinction de 15 à 37 % des espèces vivantes (et menace d’une 6ème extinction, qui pourrait toucher l’humanité elle-même). Au-delà de 2 °C, les conséquences seraient encore plus dramatiques : les rendements agricoles pourraient s’effondrer, le manque d’eau potable pourrait toucher 4 milliards de personnes, l’augmentation du niveau de la mer jusqu’à 300 millions de personnes, l’extension de la zone de paludisme 400 millions de personnes, l’extinction des espèces vivantes (cette sixième extinction est déjà entamée) pourrait menacer l’humanité elle-même.
Pour éviter d’atteindre les deux 2 °C, il faudrait réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) de 25 % d’ici 2020 et de 80 % d’ici 2050 (par rapport à 1990, ce niveau ayant augmenté depuis). Pour les pays « développés », principaux émetteurs de GES, l’objectif serait encore plus important : réduire les émissions de 40 % d’ici 2020 et de 95 % d’ici 2050.
Pour la France, les principales sources d’émission de GES sont les transports (environ 28 %), l’agriculture (21 %), l’industrie (18 %), l’habitat et le tertiaire (18 %), l’énergie (12 %), les déchets et autres (3 %). La déforestation, qui serait responsable d’une augmentation de 17 % des émissions mondiales de GES, exerce également une influence sur le réchauffement climatique.
Les solutions officielles – principalement géo-ingénierie et greenwashing – seront largement insuffisantes, sans compter les risques de dérégulations naturelles qu’elles impliquent. Il faut réduire drastiquement la consommation globale de matières premières et d’énergie. Ceci suppose, à minima : l’abolition de l’obsolescence programmée et sociale, des produits à usage unique, emballages jetables et suremballages ; développement des circuits courts, des transports et équipements collectifs, des technologies douces (low tech), amélioration de l’isolation des habitats, production priorisant les besoins les plus fondamentaux. Au-delà, certains choix sociaux seront très certainement nécessaires (par exemple, abandon du numérique, ou conservation avec des abandons compensatoires dans d’autres domaines). [1]
La raréfaction des ressources
La raréfaction des métaux et des énergies fossiles pourrait entrainer un arrêt de nombreux secteurs de production à partir de 2030 (énergies) et 2050 (métaux) et une régression sans précédent du niveau de vie. Bien entendu, ces prévisions sont effectuées avec les méthodes du « toutes choses égales par ailleurs ». L’effet d’annonce peut en lui-même enclencher une démarche de recherche accentuée concernant les optimisations énergétiques ou les alternatives énergétiques, et ainsi repousser l’échéance. Il n’en demeure pas moins que nous vivons dans un monde fini, qui se renouvelle bien moins rapidement que le rythme de consommation des sociétés industrielles avancées, que le rythme exigé par la dynamique structurelle de valorisation et d’accumulation du capital. De ce fait, il n’y a d’autre solution que de ralentir ce rythme de consommation de matières et d’énergie, si l’on souhaite une société à la fois durable et soutenable.
Les risques techno-sanitaires majeurs
Les énergies comme le nucléaire constituent un risque techno-sanitaire majeur, comme l’ont démontré les catastrophes de Tchernobyl et Fukushima. Il en a été de même pour le charbon, et il en va de même concernant le gaz de schiste (dérégulations géologiques par fracturation hydraulique, contamination des nappes phréatiques). On peut encore évoquer le danger que représentent les zones CEVESO ou les émissions de particules fines. Le mode de production industriel, tel qu’il est développé, n’est pas seulement dangereux parce qu’il dérégule le climat, menace la biodiversité, dont l’humanité, et mène vers une potentielle panne généralisée. Il est aussi dangereux d’un point de vue sanitaire, parce qu’il tend à multiplier les contaminations des organismes vivants (humains, animaux et végétaux), et ce, à des échelles de plus en plus importante (régionales, continentales, planétaire). Il est donc urgent de changer nos technologies de production.
Des changements à contre courant de la logique du capital
De tels changements entreront nécessairement en contradiction avec la logique du capital. Pour assurer sa croissance, le capitalisme doit toujours produire davantage, en consommant toujours plus de matière et en exploitant toujours plus de force de travail. Produisant toujours plus avec proportionnellement moins de force de travail, le capital éprouve déjà des difficultés à se valoriser, générant une profonde crise systémique. S’il poursuit sa course désespérée à la valorisation, il provoquera nécessairement des crises écologiques majeures : pénurie de ressources, donc arrêt du système et récession brutale, ou extinction d’espèces entraînant celle de l’espèce humaine elle-même. Si, inversement, les nécessités écologiques sont sérieusement prises en compte, les mesures qui en découleront ne pourront qu’aggraver la crise économique. Pour limiter l’ampleur du réchauffement climatique, il faut sortir du capitalisme ! [2]
Le risque d’une montée de l’autoritarisme étatique
Les États font preuve d’un autoritarisme croissant : lois liberticides, recours à l’état d’urgence prolongé, poussée des extrêmes droites, traduisent une tendance à la mise en place d’états d’exception potentiellement permanents. Avec le capitalisme, les contraintes écologiques s’appliqueront dans le sens d’une justice de classe. Les classes les plus aisées auront toujours accès à une consommation élevée, au confort matériel et technologique, aux zones d’habitation les plus favorables ; les plus pauvres devront s’accommoder de conditions matérielles extrêmement dégradées. Une telle situation entraînerait de nombreuses contestations sociales. L’arsenal répressif et liberticide développé sans limites par les États actuels constituera un outil idéal pour briser les révoltes sociales et asseoir l’ordre de classe en contexte de crise écologique. Il faut donc lutter sans plus attendre, pour une société libertaire, où les décisions seront prises à la base, dans le sens de l’intérêt et du bien-vivre, et non pas par des élus qui ne représentent qu’eux-mêmes et défendent leurs intérêts de classe. [3]
La question migratoire
Selon l’ONU, le nombre de réfugié.es climatiques s’élèverait à 250 millions aux alentours de 2050. A titre de comparaison, toujours selon l’ONU, le nombre de réfugié.es actuel serait de 65 millions. Les États capitalistes européens sont déjà dépassés par le million de réfugié.es syriennes et syriens. Comment parviendront-ils, dans les décennies à venir à gérer l’afflux, bien plus important, de migrantes et de migrants climatiques ? Avec la tendance actuelle, se multiplieront les réactions nationalistes, racistes et xénophobes. Contre cette société inhumaine, nous devons défendre la liberté de circulation et d’installation, l’entraide internationale et la perspective d’une société cosmopolite ! Le réchauffement climatique traduit la crise systémique globale. La riposte doit se traduire par une lutte anticapitaliste, autogestionnaire, antiraciste et internationaliste. À crise globale, lutte globale ! [4]
Fausses et bonnes solutions
Le capitalisme vert
Le capitalisme vert consiste principalement dans la marchandisation-financiarisation de l’écologie, l’extension de droits à polluer marchandables, et le remplacement des actions de la nature par des technologies (géo-ingénierie). Il implique donc, d’une part, le risque de formations de bulles spéculatives autour des secteurs d’activité écologiques et leur éclatement dans des krach boursiers, la possibilité que les entreprises les plus grosses et les plus polluantes continuent de polluer en payant des amendes ou en achetant les droits à polluer des autres, et enfin, un risque de dérégulations importantes, ainsi que de pénurie matériaux et énergie. Tout cela sans garantir ni que le volume de production puisse devenir soutenable, ni que les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre soient atteints.
Le keynésianisme vert
Il consiste dans l’application des vieilles méthodes keynésiennes et de new deals, c'est-à-dire le recours au crédit, en particulier d’Etat, et la création massive d’emplois pour favoriser l’action écologique tout en relançant la croissance économique. D’une part, les méthodes keynésiennes ne brillent pas par leur succès économique, puisqu’elles ont conduit à la formation d’une montagne de dettes non solvables, tandis que les effets sur les créations d’emplois sont plus que mitigés. D’autre part, elles n’ont pas permis d’empêcher la crise du milieu des années 70, celle-ci n’ayant été amortie qu’a coups de politiques néolibérales (attaques sur les salaires), de développement encore plus important de la finance et du crédit, dont les travailleuses et travailleurs ont du payer la facture. Du point de vue écologique, il n’est pas non plus certain que de telles activités fonctionnent, du fait qu’il s’agit notamment de multiplication des activités réparatrices plutôt que de réduction des activités. Et dans le cas où il s’agirait de substitution des activités industrielles non écologiques par des activités écologiques, d’une part, il n’est pas certain que la réduction du volume de consommation globale soit suffisante, d’autre part, cela ne résoudrait rien à long terme au problème de ralentissement de la croissance. D’autre part, si la perspective de réduction du volume de consommation globale était avérée dans les programmes du keynésianisme vert, il s’agirait d’un programme de récession économique. Le principe de valorisation et d’accumulation du capital n’est donc pas compatible avec la perspective de satisfaction des besoins sociaux et de soutenabilité écologique.
La décroissance
De ce point de vue, la décroissance, soit la réduction du volume global de consommation-production et la décélération de son rythme, et la modification écologique des modèles de production, semble constituer la seule solution viable. Cependant, il ne s’agit pas de n’importe quelle décroissance. Il ne s’agit ni d’une décroissance radicale type écologie profonde, ni d’une décroissance involontaire et subie, ni d’une récession économique. La décroissance dont il est ici question articule la recherche d’un équilibre entre le socialement et le biologiquement soutenable, la dimension consciente, volontaire et maitrisée, de la transition vers une société plus sobre, et une démarche d’A-croissance, c'est-à-dire d’une société sans croissance du point de vue du concept de croissance en économie, soit une sortie de la logique de valorisation et d’accumulation du capital comme moteur de développement social (développement par ailleurs extrêmement destructif). De plus, la décroissance ne consiste pas ici en un rejet du progrès, de la modernité, de la science, et de l’industrie au profit du ruralisme et de l’artisanat. Il consiste dans une modification des modèles de production, de la quantité et de la nature de la production sociale, dans laquelle la science doit être remise à sa place : c'est-à-dire ni une science prophétique, ni un rejet de la science, mais une place de juste expertise retrouvée, laissant la place à la découverte, sans miser sur le fait qu’elle les produise nécessairement pour penser l’évolution de la société, ni ne lui accorder aucune chance d’ouvrir des possibilités de conditions d’existence améliorées.
La décroissance, avec le communisme libertaire !
La décroissance, seule, ne peut constituer une perspective d’émancipation sociale réussie. La société doit nécessairement, d’une part, s’émanciper de la domination systémique du capital, des inégalités et de la misère sociale et des crises qu’elle engendre, développer la propriété commune des moyens de production par l’association démocratique des producteurs, développer des modes de distribution alternatifs à l’échange marchand, d’autre part, renforcer les cadres démocratiques pour donner plus de pouvoir à la base, aux structures locales, aux individus. Enfin, elle doit s’inscrire dans une perspective révolutionnaire, visant la prise de contrôle commune et démocratique des moyens de production, non seulement pour les soustraire aux puissance aveugles des échanges et à leurs conséquences socialement néfastes, mais aussi pour pouvoir délibérer de la nature de la production et de la transformation écologique de l’appareil productif.
[1] je reprends ici les bases d’un article que j’avais précédemment écris dans Alternative Libertaire, avec quelques remaniements et ajouts.
L’article original ici : http://www.alternativelibertaire.org/?COP21-un-an-apres-Resister-aux
[2] idem. Lire aussi : Economie et Ecologie : à la croisée des crises – critique de la valeur et critique de la croissance.
[3] idem.
[4] idem.
Pour aller plus loin :
DCL_fiche synthèse_décroissance.pdf
Economie et écologie : à la croisée des crises - Critique de la valeur et critique de la croissance
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